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De l'Université de Douai à celle de Lille

Par Marie-Thérèse Pourprix

Décembre 2006

I. La fondation de l’Université de Douai en 1562

La Sorbonne, les universités de Montpellier et de Toulouse apparaissent au XIIIe siècle. Un siècle plus tard existent les universités d’Orléans, Avignon, Cahors, Grenoble, Angers, Orange. Au XVe siècle sont créées celles d’Aix-en-Provence, Dôle, Poitiers, Caen, Bordeaux, Valence, Nantes, Bourges. La Réforme suscite l’institution des universités de Reims en 1547, Douai en 1562 et Pont-à-Mousson en 1572.

Dans les Pays-Bas du Sud, sous domination espagnole, l’université de Louvain est fondée en 1425, en territoire brabant, de langue thioise [1]. Tournai, Valenciennes et Mons ont un collège, Maubeuge souhaite en avoir un. Alors pourquoi fonder une université et pourquoi Douai ?

La région est le berceau des humanistes tels Erasme de Rotterdam (1466-1536) et Christophe Plantin (1514-1589), imprimeur génial installé à Anvers [2]. Les Capucins, les Récollets, les Jésuites (dont l’ordre est fondé en 1534) jouent un rôle temporel et intellectuel important. Dans les très actifs Pays-Bas, il est nécessaire de former des clercs, des légistes, des officiers. Dès 1531, Douai, étape des grains sur la Scarpe, « sûre et convenable », s’acharne à vouloir son université. Auprès du conseil privé de Charles Quint chargé d’étudier le problème, Louvain s’inquiète d’une rivalité possible et développe des arguments pour empêcher cette création : « les mauvaises doctrines "procèdent surtout des lettrés en sciences et en lettres modernes". » Aussi Charles Quint soutient Louvain, qui lui fournit « théologiens et inquisiteurs » ; il est réservé à l’égard de Douai, dont une université renforcerait aussi le pouvoir communal.

Calvin, né à Noyon, est initié à la doctrine de Luther lors de ses études de droit à Orléans. Ses écrits de 1536, en latin puis en français, propagent ses idées ; le luthéranisme et le calvinisme infestent alors les Pays-Bas et les Provinces françaises. Pour contrer la Réforme, des affiches exposent des édits de Charles Quint interdisant certaines lectures et certaines discussions. En 1540, la Réforme atteint Louvain, cinquante personnes y sont suppliciées et Mercator, célèbre plus tard comme mathématicien et géographe, doit s’enfuir, dénoncé par les inquisiteurs. Les étudiants voyagent beaucoup, les études en latin favorisent leur circulation, ils sont donc exposés fortement aux idées nouvelles. Douai échappe à la propagande réformiste et conserve ainsi la préférence de l’empereur pour l’installation probable de l’université. En effet, parmi les autres villes où cette création pourrait se faire, Valenciennes surnommée « la Genève du Nord » est le lieu de troubles violents [3], Tournai est trop attachée à la France, et Lille a le tort d’être trop active et trop peuplée.

L’un des instigateurs de l’université de Douai est le lillois Jean Vendeville, formé au droit civil à Louvain, qu’il enseigne à Douai ; il est plus tard évêque de Tournai. Vendeville refuse une nomination à la Sorbonne en 1598 pour rester à Douai. Un autre promoteur est Antoine Perrenot de Granvelle (1527-1598), cardinal d’Arras, ministre de Charles Quint puis de son fils Philippe II, grand négociateur des traités d’Augsbourg et du Cateau-Cambrésis. Vendeville, admirateur de l’organisation des Jésuites, avance la nécessité, « pour diminuer l’hérésie », de former à Douai des prêtres capables de disputer avec les docteurs de la réforme calviniste. Poussé par Vendeville et Granvelle, Philippe II, roi d’Espagne depuis 1556, sollicite le pape Paul IV qui lui est peu favorable. Cependant Paul IV accepte la création de l’université de Douai par le bref du 31/7/1559, car cette mesure est dans la continuité des directives du Concile de Trente (1545-1563), où les théologiens de Louvain ont joué un grand rôle, et qui « définit la Contre-Réforme catholique face à l’expansion protestant »[4]. François Richardot, évêque d’Arras, prononce le discours inaugural en automne 1562, l’université de Douai doit « servir d’exemple de vertu à toute la chrétienté ». Richardot assure, le premier, le cours d’écriture sainte.

L’université de Douai est conçue sur le modèle de celles de Louvain, Paris, Bologne, Padoue. Le Recteur est nommé chaque année par roulement entre les cinq facultés, il est assisté d’un conseil supérieur composé de professeurs. L’enseignement se fait en français, l’université de Douai assurera de cette façon la pérennité de la langue et de la culture françaises dans les Pays-Bas du Sud. Dans les collèges situés à Douai et aux alentours, les étudiants sont logés et enseignés. Les cours de la Faculté des Arts (mathématiques, astronomie, physique, philosophie, latin, grec) sont dispensés dans les collèges et constituent les propédeutiques nécessaires à l’entrée dans les quatre autres facultés (théologie, médecine, droit canon et droit romain ou civil). A l’origine seul existait le Collège du Roi. Dans les collèges d’Anchin et de Marchiennes, qui prennent le relais en 1569 et 1572, les Jésuites assurent un enseignement excellent, et de plus, gratuit. D’autres collèges s’y ajoutent, tels ceux, florissants, de Saint-Vaast et de Saint-Grégoire, tenus par les Bénédictins. Une grande particularité de Douai est l’existence, à l’instigation de l’archevêque de Malines, de collèges de Récollets anglais, irlandais, écossais, formant des prêtres catholiques qui retournent ensuite en Angleterre.

Comme étudiant célèbre, citons Mortier, futur général d’Empire, né au Cateau, qui fait ses études au collège irlandais. Les séminaires correspondent aux résidences universitaires actuelles où logent les étudiants, pour la plupart boursiers. Les règlements disciplinaires des collèges et séminaires sont très rigoureux, ils sont fréquemment publiés, du fait des heurts multiples entre les étudiants et les enseignants ou les bourgeois de la ville. La prospérité et la renommée de Douai, l’« Athènes du Nord », avec ses 5 facultés, 8 collèges, 18 refuges d’abbayes et 22 séminaires, et où s’installent libraires et typographes, sont directement liées à son université. Mais Louvain, sa rivale universitaire, conserve seule le privilège des revenus de l’Eglise.

Ainsi la création de l’université de Douai apparaît, dans une époque florissante pour le commerce, les banques et l’imprimerie, comme l’instrument de la Contre-Réforme dans une des villes les plus sûres de la région.

 

[1] La langue thioise désigne, au Moyen Âge, les différents dialectes parlés aux Pays-Bas. Elle signifie actuellement la langue néerlandaise.

[2] Numéro d’avril – mai – juin - juillet 2004, Les Jardins d’Athéna, publication dirigée par Nicole Dhainaut, Villeneuve d’Ascq.

[3] Jean Lestocquoy, Histoire de la Flandre et de l’Artois, PUF, 1965.

[4] Le Monde 2, 3 décembre 2005.

 

II. L'Université de Douai (1562-1793), quelques hommes, quelques conflits

Citons quelques personnages marquants des débuts de l’université de Douai. François Du Bois (1582-1649), dit Sylvius, prend parti contre l’ouvrage de l’évêque d’Ypres, Jansénius, promoteur de la doctrine qui porte son nom, le jansénisme. Le Père François Fournet, né à Lens, fait ses humanités et étudie la philosophie chez les Jésuites de Douai. Descartes (1596-1650) est son élève à la Flèche. Descartes se rend plusieurs fois à Douai. Des publications s’y font, ainsi l’article signé du Jésuite Charles Malapert (1581-1630), Austriaca sidera heliocyclia astronomicis hypothesibus illigata, édité à Douai en 1633, réfute les théories héliocentriques de Copernic et Galilée à l’aide de considérations sur la comète de 1618 et sur le mouvement des étoiles5. Un cratère de la lune porte le nom de Malapert6.

Les mœurs sont rudes. Lors d’un banquet doctoral, vers 1665, des professeurs se lancent à la figure des « verres de vin, tant emplis que vides », blessant l’un d’eux à la main qui lui protégeait la face. Cette blessure provoque une grande quantité de sang qui coule, paraît-il, jusqu’à la rue.

La période 1640-1685 est très troublée. Les Espagnols sont à Douai jusqu’en 1667, l’annexion de la région à la France s’accompagne alors de la guerre de Dévolution. Les abbayes qui alimentaient le budget de l’université restent en Pays-Bas, les professeurs sont payés de façon irrégulière et le recrutement en pâtit. On cite le cas d’une nomination à la faculté de droit par une assemblée convoquée en octobre 1668, à 5 heures du matin. Certains s’en émeuvent et s’aperçoivent que le nouveau titulaire de chaire, auparavant « professeur des histoires », n’a pas enseigné depuis sa nomination et que ses jours et heures de cours n’ont pas été affichés. Le nouveau professeur répond que c’est faute d’auditeurs, et pour cause de salaire trop faible, qu’il n’a pas encore enseigné !

On assiste à une épreuve de force entre le roi et l’université vers 1682 à propos des « maximes gallicanes » élaborées, sous l’autorité royale, par l’évêque de Tournai et par Bossuet, lequel est alors le véritable chef du clergé de France. Ces maximes définissent l’indépendance de l’Eglise de France vis-à-vis du Saint-Siège. Elles seront en vigueur jusqu’à la proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale en 1870. Les Jésuites s’opposent aux prétentions du roi par rapport aux prérogatives de l’Eglise. Pour Louis XIV, il s’agit d’intégrer les provinces conquises, d’uniformiser les études juridiques sur le royaume et de contrôler les professeurs. Quatre professeurs refusent d’enseigner les maximes, soutenus par des étudiants. Le roi doit laisser faire pour éviter que les chaires vacantes ne tombent aux mains des Jansénistes. En effet, des divisions profondes affectent le corps des professeurs de la faculté de théologie, puis gagnent les autres facultés. Ces divisions politico-religieuses mettent en cause l’enseignement aristotélicien de l’époque, tandis que les Jansénistes soutiennent le rationalisme cartésien et la méthode expérimentale qui émergent alors. Les partisans de ces derniers, dont l’évêque d’Arras, Guy de Sève de Rochechouart, et le recteur de Douai, Louis Monnier de Richardin, déplorent le laxisme des Jésuites alliés au doyen de l’université, Adrien Delcourt. Des professeurs jansénistes sont exilés par lettre de cachet, c’est la Fourberie de Douai. Les recrutements sont évidemment l’occasion d’affrontements, ainsi, en 1702, Monnier de Richardin va jusqu’à Versailles chercher du soutien. Le roi nomme une commission pour régler l’affaire, mais les commissaires se révèleront impuissants. Fénelon, évêque de Cambrai opposé aux Jansénistes, ainsi que Bossuet et le Père La Chaise, confesseur du roi, s’en mêlent. Finalement Delcourt et les Jésuites obtiennent gain de cause, mais la sérénité au sein de l’université est disparue pour longtemps.

La faculté des Arts dispose de trois chaires (histoire, hébreu, grec) jusqu’en 1704, date à laquelle on crée une chaire de mathématiques, pour des raisons pédagogiques et pour consolider l’influence des Jésuites. Les sciences techniques sont enseignées non pas à l’université mais dans les collèges ; par exemple, des chaires d’hydrographie existent en 1704 aux collèges de Douai, Dunkerque et Calais. Les collèges, tenus souvent par les Jésuites qui y enseignent les Arts, sont « agrégés » à l’université. Après avoir été le fer de lance de la lutte contre le protestantisme, le gallicanisme et le jansénisme, les Jésuites sont expulsés de France en 1765 et l’ordre est dissous sous la pression des Bourbons peu après. Pour les remplacer, on instaure le concours de l’agrégation en 1766, les reçus au concours sont nommés « agrégés de l’université », ce qui explique le terme actuel.

Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville (1697-1782), célèbre cartographe et géographe du roi, occupe brillamment la chaire de mathématiques de 1768 à 1772. D’Anville est issu de la famille de Jean de Witt, homme politique hollandais. Ses cartes font longtemps autorité et Bougainville les utilise avec succès lors de son voyage dans les Moluques7.

Au traité d’Utrecht en 1713, le parlement de Flandre, qui était à Tournai, est transféré à Douai, ce qui contribue au rayonnement de sa faculté de Droit. Un homme célèbre issu de cette faculté est Philippe Merlin de Douai (1754-1838) qui, député en 1789, contribue à l’abolition du droit d’aînesse en 1790. Conventionnel, il propose la loi des suspects, il est ensuite membre du Comité de Salut Public, puis ministre de la justice sous Thermidor, membre de l’Institut et juriste sous l’Empire.

Il n’est pas sûr que les universités françaises, et particulièrement celle de Douai, portent le flambeau de la philosophie des Lumières. Celle-ci est plutôt véhiculée par les salons parisiens, et l’Académie des Sciences8. La Sorbonne, acquise tardivement à la physique de Newton, dissocie les enseignements de physique et de philosophie vers 1750. L’incapacité de l’Université à enseigner les sciences et les techniques dans l’esprit des encyclopédistes conduit à la mise en place, à cette époque, des premières grandes écoles scientifiques9. Toutefois, les bibliothèques des facultés de Douai sont bien fournies et un observatoire est créé. Les soutenances de thèses sont, soi-disant, plus faciles à Paris qu’à Douai, on y a refusé d’envisager la nomination d’un candidat sous ce motif. Au XVIIIe siècle, pour ce qui est du nombre d’étudiants, il semble que Douai soit la deuxième université de France, après Paris et avant Louvain. Ce nombre diminue ensuite fortement à la veille de la Révolution. La Convention mettra fin aux universités françaises de l’ancien régime.

[5] Claire Bouyre, Le vivant dans le discours sur la pluralité des Mondes : l'exemple de l'oeuvre de John Wilkins (1614-1672), p. 171 et p. 228, thèse, 2015.

[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Malapert

[7] https://gallica.bnf.fr/dossiers/html/dossiers/VoyagesEnFrance/themes/Images1.htm

[8] Alain Renaut, Les révolutions de l’université, Calmann-Lévy, 1995.

[9] André Tuilier, Histoire de l’Université de Paris et de la Sorbonne, Nouvelle Librairie de France, 1994.

III. La fin de l’université de Douai (1793) et le début de l’université de Lille (1896)

En 1791, la plupart des professeurs de l’université de Douai refusent de prêter serment à la Constitution civile du clergé, exigé des professeurs par l’Assemblée Nationale Constituante. En ces temps troublés, l’université est désertée de ses étudiants, le chiffre de 20 étudiants pour la faculté des Arts de Douai est cité. Aussi, en 1793, toutes les Universités, jugées corporatistes et aristocratiques, sont supprimées par la Convention. Elles ne seront rétablies qu’en 1896. Les universités médiévales qui avaient perduré jusqu’à la révolution n’ont plus lieu d’être avec l’avènement de la science moderne et la remise en cause de la place de l’homme dans la société. Il est à remarquer qu’en Allemagne aussi, le phénomène de fermeture d’universités se retrouve sur la période 1792-1818. En France, durant les 103 ans qui suivent 1793, des facultés sont créées, mais elles ne sont pas fédérées en universités. Cette période est agitée, elle est marquée par des révolutions et de multiples changements de régime politique aboutissant à l’installation ferme de la République. Les affrontements sont permanents entre partisans de l’Eglise et ceux de l’Etat laïque sur la question de l’enseignement et de la collation des grades. Les législateurs sont aussi méfiants vis-à-vis des velléités d’indépendance des universitaires. Certains d’entre eux, tels l’historien François Guizot et l’helléniste Victor Cousin, sont dorénavant mêlés à la vie politique. Localement, ces problèmes s’accompagnent de la rivalité entre Lille, place de guerre et centre commercial, et Douai, au passé prestigieux, où siège la cour d’appel qui succède au parlement de Flandre. Détaillons un peu tout ceci.

Les textes officiels stipulent : « Il sera formé, sous le nom d’université impériale, un corps chargé exclusivement de l’enseignement et de l’éducation physique dans tout l’Empire ». Ainsi, l’université impériale du Premier Empire désigne l’ensemble du système éducatif français ; elle regroupe, au sein des académies, les collèges, les lycées et les facultés. Elle exclut les Grandes Ecoles et les Instituts issus de la tradition encyclopédiste du XVIIIe siècle. L’autonomie consentie est réduite, tant du point de vue pédagogique que de celui des nominations d’enseignants. Les facultés des Sciences et des Lettres, dites facultés Académiques, remplacent les facultés des Arts. Elles sont professionnelles et destinées uniquement à former des maîtres, il n’est pas question de recherche ni de favoriser l’économie du pays. Celles de Paris siègent d’ailleurs, dans un premier temps, auprès des lycées. La Sorbonne devient, en 1801, Musée des Arts et est occupée par des artistes. A partir de 1821, elle recueille l’Académie de Paris et les trois facultés de Sciences, Lettres et Théologie. Aux alentours de 1830, les seules facultés des Sciences de province sont celles de Strasbourg, Dijon, Grenoble, Montpellier et Toulouse.

Douai est choisie, sous le Consulat, pour être le siège de l’Académie et du Lycée régional pour les départements du Nord, Pas-de-Calais et Sambre-et-Meuse. C’est le seul lycée de la région jusqu’en 1852, date où celui de Lille est créé. Lille n’est dotée avant cela que d’un simple collège municipal. Ainsi, le jeune lillois Louis Faidherbe va préparer l’Ecole Polytechnique au lycée de Douai et y entre en 1838. En 1800, un cours d’instruction médicale est ouvert à l’Académie de Douai et, en 1805, une école secondaire de médecine à Lille est créée. Napoléon restaure les facultés de Lettres et de Sciences à Douai en 1808, elles sont supprimées à la Restauration.

Cependant, la vie intellectuelle dans la région est active. La Société des Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille est fondée ; en 1817, elle instaure des cours municipaux de sciences avec Delezenne, Lestiboudois, Kuhlmann. Ce dernier fonde une chaire de chimie appliquée à l’industrie en 1823, chaire qu’il occupe jusqu’en 1854. La Revue du Nord, lancée par Brun-Lavaine vers 1833, avec comme collaboratrice Marceline Desbordes-Valmore, s’élève contre le monopole culturel de Paris. Le Boulonnais Auguste Mariette retrouve la nécropole de Memphis en 1851 et Edmond de Coussemaker redécouvre la musique médiévale. Malgré tout, la Monarchie de Juillet (1830-1848), qui institue un réseau de facultés dans toute la France, oublie les départements septentrionaux. Le comte de Salvandy, ministre de l’instruction publique, tente bien de restituer les facultés de Douai en 1846, mais il échoue, soi-disant, faute d’argent.

Alors que les maîtres des facultés parisiennes avaient joué un grand rôle dans la révolution de 1830, celle de 1848, d’origine plus populaire, a pour cause principale le conservatisme de Guizot. Les lois Falloux, votées en 1850, établissent la liberté de l’enseignement secondaire et favorisent l’enseignement confessionnel. Fortoul, ministre de l’Instruction publique de Napoléon III, bien qu’adepte de Saint Simon qui pensait que la science suffirait à assurer le bonheur des hommes, réduit fortement, par ses lois, les libertés des universitaires ; ceux-ci sont nommés et révoqués au gré du ministre et doivent prêter serment au régime.

La rivalité entre Lille et Douai s’exacerbe dès 1854. En effet, par décret du 22/8/1854, Napoléon III rétablit la faculté des Sciences à Lille et celle de Lettres à Douai. En 1865, Douai retrouve sa faculté de Droit. L’école préparatoire de Médecine et de Pharmacie de Lille, instituée le 12/8/1854, est transformée vingt ans plus tard en Ecole de plein exercice et l’année suivante, en faculté de Médecine et de Pharmacie.

En 1871, les Républicains remettent à l’ordre du jour la question des Universités. A l’instigation de Monseigneur Dupanloup qui s’oppose à Jules Ferry, les lois de 1875, revendiquées par l’Eglise, établissent la liberté de l’enseignement supérieur. Ces lois permettent la création de six groupes de facultés catholiques : à Angers, Lyon, Marseille, Toulouse, Paris et à Lille, où Philibert Vrau, industriel chrétien, porte le projet. La première pierre de l’université catholique est posée en 1879, boulevard Vauban. A cette date, les facultés des Sciences, de Médecine et Pharmacie sont à Lille, alors que Douai est le siège de l’Académie et des facultés de Lettres et de Droit. Cette dispersion a sans doute contribué à la création de l’université libre de Lille.

Pour les Républicains, il est impératif de doter les départements septentrionaux d’une université laïque, ce qui sous-entend de regrouper toutes les facultés. En concertation avec l’état, les maires de Lille, dont Géry Legrand, qui s’adjoint le chimiste Charles Violette, doyen de la faculté des Sciences, engagent un vaste programme de constructions d’instituts et de bâtiments universitaires. En 1880, Jules Ferry pose la première pierre de la faculté de Médecine, place Philippe Lebon. On lui remet une pétition demandant la réunion à Lille des quatre facultés, le succès des facultés de Sciences et de Médecine à Lille plaide en effet pour le rapatriement de celles de Lettres et Droit. Le célèbre historien Ernest Lavisse, originaire du Nouvion-en-Thiérache, insiste aussi dans ce sens dans la Revue Internationale de l’Enseignement. Les lois Ferry sur l’enseignement primaire sont votées en 1881-82. René Goblet, né à Aire-sur-la-Lys, ministre de l’Instruction publique, fait voter les lois de 1886 émancipant les instituteurs de la tutelle du clergé. Le transfert de l’Académie et des facultés de Droit et de Lettres est décrété le 12/3/1887. Le ministre de l’Instruction publique, des beaux-arts et des cultes, Eugène Spuller, inaugure la réunification des quatre facultés de Lille en novembre de la même année. A Douai, tandis que tinte « le glas funèbre », il faut protéger les voies ferrées lors du passage du train de Spuller, tant on craint une émeute devant ce « rapt immonde ».

De 1884 à 1896, les textes définissant les missions et moyens de l’enseignement supérieur sont établis et votés. Louis Liard, philosophe et directeur de l’Enseignement Supérieur, joue un rôle considérable dans la création des grandes universités régionales. Il se réfère aux universités allemandes qui avaient déjà fasciné Victor Cousin en 1833 et qui sont visitées, à titre d’exemple, par les Américains. Liard met en avant la nécessité d’un service public pour briser les isolements et appuyer les progrès scientifiques et techniques alors en pleine expansion. Le but est de créer de « puissants foyers d’études, de science et de progrès intellectuel » et de « placer la science au centre même de l’enseignement professionnel ». Il s’agit aussi de régénérer une culture nationale et de dynamiser la nation après la défaite de 1870. Les universités sont rétablies par décret du 10/7/1896. Le conseil général des Facultés, institué le 28/12/1885, comprenant le recteur, les doyens et deux professeurs représentants élus de chaque faculté, devient alors conseil de l’Université.

Des évolutions pédagogiques auront lieu, cependant le système universitaire ainsi mis en place fonctionnera pratiquement inchangé jusqu’en 1968.

IV Bibliographie

1. Louis TrénardDe Douai à Lille…Une Université et son histoire, Université de Lille III, 1978.
2. Jean-François CondetteUne faculté dans l’histoire, La Faculté des Lettres de Lille de 1887 à 1947, Presses Universitaires Septentrion, 1999.
3. André DhainautIl y a 150 ans : la naissance de la Faculté des Sciences, Publication n°3 de l’ASA-USTL, janvier 2006.
4. Michel ParreauLa Faculté des Sciences de Lille, Publication de l’ASA-USTL, 1996.
5. Alain RenautLes révolutions de l’université, Calmann-Lévy, 1995.
6. Louis Trénard et Yves-Marie HilaireHistoire de Lille, Perrin, 1999.
7. André TuilierHistoire de l’Université de Paris et de la Sorbonne, Nouvelle Librairie de France, 1994.