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La Société Géologique du Nord et l’historique de l’étude de la géologie de notre région

LA SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE DU NORD
ET L'HISTORIQUE DE L'ÉTUDE DE LA GÉOLOGIE DE NOTRE RÉGION

Par Michel WATERLOT

Professeur honoraire des Universités

1997


Cent trente ans d'existence depuis sa création par Gosselet en 1870, 100000 pages imprimées sous forme de Mémoires, d'Annales et de Publications, près de 1000 membres depuis sa création. Telle est, en chiffres, la Société Géologique du Nord. Depuis sa naissance, elle est le forum naturel et le moyen d'expression et de publication, d'une part des géologues universitaires de Lille, tant de l'Etat que la Faculté Catholique, de nos collègues de la Faculté Polytechnique de Mons en Belgique, et, d'autre part, des géologues appliqués comme ceux des Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais et, créé plus récemment, du Bureau de Recherches Géologiques et Minières.

Il n'y a jamais eu de séance à Lille ou de réunion sur le terrain sans que ces différentes structures ne soient largement représentées.

Sa bibliothèque spécialisée fut l'une des plus riches d'Europe. Elle a beaucoup souffert des deux guerres mais elle avait encore beaucoup d'allure dans notre ancienne et belle salle de réunion, rue Gosselet à Lille, éclairée par ce magnifique lustre de cristal dont les plus anciens se souviennent. Cette belle collection est maintenant très bien gérée par la Bibliothèque Universitaire de Lille, ce qui la rend accessible au plus grand nombre.

Cent mille pages imprimées, avons-nous dit. Une telle masse de publications a permis, bien évidement, de proposer et de conforter de nombreux concepts fondamentaux de notre discipline.

Des pans entiers des Sciences de la Terre ont ainsi été proposés ou discutés pour la première fois lors de nos séances ou dans les laboratoires que j'ai cités en commençant cet exposé.

Quels sont les principaux acquis scientifiques dus à la S.G.N. et à ses membres ?

  1. L'étude ex nihilo de deux régions clefs, de deux hauts-lieux de la Géologie de l'Ère Primaire, l'Ardenne et le Boulonnais ainsi que la découverte d'une évolution lente des faunes avec le Strunien (zone d'Etroeungt) et la description d'un des plus grands accidents tectoniques en Europe (la Faille du Midi). Cela nous permettra de rappeler brièvement le rôle essentiel dans notre discipline de J. Gosselet, Ch. Barrois et des Cornet père et fils.
  2. La découverte de la notion de subsidence par Pierre Pruvost, une notion, on le sait fondamentale.
  3. L'étude précise de la genèse des charbons par André Duparque.
  4. L'étude systématique des forêts houillères et le développement de la paléobotanique ; je citerai ici les noms de Paul Bertrand, Alfred Carpentier, Paul Corsin et du Chanoine Depape.
  5. L'étude des animaux fossiles, surtout des Invertébrés, avec les travaux magistraux de Dorothée Le Maître, Monseigneur Délépine et du Chanoine Dubar , tous dans le droit fil des travaux de Gosselet, Barrois et Pruvost.
  6. L'hydrogéologie moderne, la géologie de l'eau, abordée par Gosselet et développée par les travaux de Gérard Waterlot et Antoine Bonte qui fut, par ailleurs, un remarquable géologue appliqué. Ces deux disciplines, hydrogéologie et géologie appliquée, seront évoquées ici.

Revenons maintenant un peu plus en détail sur chacun de ces volets de notre discipline, initiés souvent et développés toujours à la S.G.N.

Jules GOSSELET, François et Jules CORNET, Charles BARROIS

  • Description de l'Ardenne et du Massif Armoricain.
  • Charriage et Faille du Midi.
  • Lenteur des phénomènes géologiques. Strunien.

L'Ardenne par J. Gosselet, J. Cornet et Ch. Barrois, le Massif Armoricain par Ch. Barrois, deux régions clefs pour la compréhension des orogènes primaires et leurs quatre cent millions d'années de mouvements grandioses. Deux éléments essentiels de l'ossature ancienne de nos pays ont été étudiés et décrits de manière admirable par ces trois précurseurs, malgré les conditions, très difficiles à l'époque, du travail sur le terrain.

Avant eux, il n'y avait presque rien; après eux, il y avait presque tout.

Aux descriptions exhaustives de ces deux grands massifs, il faut ajouter la compréhension d'un accident qui est l'un des plus grands d'Europe; La Faille du Midi, -immense charriage décrit et compris par touches successives depuis Briart et François Léopold Cornet (le père de Jules Cornet) jusqu'aux travaux récents des tectoniciens belges et français (comme J.F. Raoult, trop tôt disparu).

Ce sont les travaux de Jules Gosselet, Jules Cornet et Charles Barrois qui furent décisifs dans la compréhension de la notion de charriage. Elle nous est familière et paraît évidente mais elle devait être un bouleversement probablement très inconfortable dans l'esprit de nos devanciers.

Cette notion de charriage, appliquée peu après aux Alpes, permettra d'aborder la compréhension de la structure de ces immenses chaînes récentes.

Autre découverte remarquable par ces auteurs et en particulier Gosselet et Barrois: le Strunien, la Zone d'Etroeungt.

Ce sont des discussions menées par Gosselet et Barrois, en grande partie dans le cadre de la S.G.N., qui montrèrent l'évolution lente des faunes accompagnant le passage du Dévonien au Carbonifère. Il s'agit là d'un des points fondamentaux de la géologie moderne, alors, qu'à l'époque, les traités de Géologie, même remarquables comme celui de Sir Charles Lyell (1864, 6e éd.), sont très timides quant à l'âge absolu des couches et laissent encore souvent sous entendre que les changements de flore et de faune fossiles d'une couche à celles qui suivent sont assez brutaux, par une sorte de re-création.

Description de deux des plus importants os du squelette européen (Ardenne et Bretagne), acquisition de la notion de charriage (Faille du Midi), proposition d'une évolution non "castastrophique" (Strunien): on voit qu'il s'agit là de fondations bien solides proposées par ces précurseurs inspirés.

Je dirai maintenant quelques mots sur leur biographie.

Jules GOSSELET naquit à Cambrai en 1832, il y a 165 ans, dans une famille de pharmaciens. Il fit ses premières études supérieures à l'Ecole de Pharmacie de Paris. Très rapidement, il céda à son goût des Sciences Naturelles en général, et de la géologie en particulier .

Le grand Constant Prévost ( Professeur de Géologie à la Sorbonne ), remarqua ses dons et le fit nommer, très jeune, Préparateur en Sorbonne.

La ville de Lille, sa Société des Sciences, et le Ministère créérent en 1864 une chaire de Géologie dans notre jeune Faculté des Sciences dont Pasteur fut le premier Doyen.

A 32 ans, Jules Gosselet obtint cette chaire et put ainsi créer, animer et veiller au développement harmonieux de la jeune école géologique lilloise. Son oeuvre fut considérable. Il créa surtout la Société Géologique du Nord en 1870 avec une quarantaine de membres et, par la suite, le Musée de Géologie.

Il mourut, comme Alfred Wegener, à la tâche. Une explosion en 1916 (dite des Dix huit ponts), au bout du Boulevard des Ecoles, détruisit une partie de son Musée. C'est en tentant de réparer, tant bien que mal, le plus gros des dégâts pour sauvegarder ses collections, qu'il contracta la maladie dont il mourut très rapidement à 84 ans.

Gosselet fut Doyen de la Faculté des Sciences, après Louis Pasteur, et membre de l'Académie des Sciences.

Il est donc arrivé à 35 ans dans une région encore géologiquement peu connue et en a fait, et ceci est surtout valable pour l'Ardenne, une Mecque de la géologie dont la connaissance est indispensable à l'étude du Paléozoïque.

Jules CORNET, quant à lui, naquit en l865 à quelques kilomètres de Mons en Belgique. Il était le fils de François Léopold Cornet, Ingénieur des Mines, qui avec Briart, proposa la notion de Faille du Midi.

Sa carrière scientifique connut deux grandes périodes: l'Afrique centrale d'une part avec l'expédition Bia-Francqui au cours de laquelle il se montra pionnier de la géologie du Katanga; l'Ardenne d'autre part, par la suite, avec ses collègues montois et lillois.

Excellent enseignant et chef d'Ecole dynamique, Jules Cornet fut donc un des piliers de la géologie européenne de la fin du XIXe et du début du X Xe siècle. Il mourut en 1929.

Charles BARROIS naquit en 1851 dans une famille d'industriels bien connus dans notre région. Il fut nommé à 20 ans Préparateur d'Histoire Naturelle par Jules Gosselet.

Une brillante thèse sur le Crétacé du Bassin anglo-normand le fit connaître, tr~:: jeune. Dès lors, il parcourut inlassablement le Massif Armoricain et l'Ardenne. Il créa en 1907 le Musée Houiller de Lille, fut membre de l'Académie des Sciences à 37 ans et, au même âge, chevalier de la légion d'honneur. Il disparut en 1939, Président d'honneur de l'Académie des Sciences.

LA NOTION DE SUBSIDENCE ET PIERRE PRUVOST

On rencontre dans les séries géologiques des successions épaisses, parfois de plusieurs kilomètres, de sédiments qui, à l'évidence, se sont formés sous une profondeur d'eau faible; on peut ainsi, par exemple, observer l'empilement de centaines de plages successives toutes formées à 0 m d'altitude.

De la même manière, on connaît dans les séries houillères d'épaisses successions de veines de houille qui sont dues à la destruction de forêts; or celles-ci se développaient toutes à une altitude identique et faible.

Comment expliquer ces successions a priori illogiques ? Comment expliquer ce phénomène apparemment impossible ? Comment expliquer de manière plus générale la genèse des bassins sédimentaires ?

Aucune explication valable ne fut avancée avant celle proposée par Pierre Pruvost sous le nom de subsidence (de l'anglais to subside = s'enfoncer lentement), notion largement exposée et commentée à la Société Géologique du Nord et à la Société des Sciences de Lille.

Les dictionnaires géologiques classiques (Foucault et Raoult) définissent maintenant, d'après Pruvost, la subsidence comme un "enfoncement progressif, régulier ou saccadé pendant une très longue période, du fond d'un bassin sédimentaire marin ou non".

C'est cette notion de subsidence qui permet de comprendre la genèse des bassins sédimentaires et des bassins houillers. A mon avis, cette notion constitue le point marquant de l'oeuvre de Pierre Pruvost. On peut ainsi considérer l'étude qu'il fit en 1928 du sondage de Ferrières en Bray, comparé aux séries du Boulonnais, comme l'un des grands moments de la géologie française.

Quelques mots sur l'homme et sa carrière.

Pierre Pruvost naquit à Raismes en 1890 dans une famille de médecins. Il commença sa médecine mais décida rapidement d'abandonner la tradition familiale et de se diriger vers la Géologie.

Il fit, à Lille d'abord et à Paris ensuite, une brillante carrière devant le mener à l'Académie des Sciences en 1947. Il nous quitta en 1967 entouré du respect et de l'affection de toute la profession.

ANDRE DUPARQUE ET L'ETUDE DE LA GENESE DE LA HOUILLE

Il naquit à Lille en 1892 au sein d'une famille de juristes. Il obtint sa Licence en droit avant la guerre 1914-19l8 mais céda à son goût des Sciences de la Terre et passa une Licence de Sciences Naturelles en 1920.

Charles Barrois lui proposa d'entrer dans son laboratoire et d'y étudier la genèse des charbons ce que fit Duparque, de manière remarquable et toute sa vie, à Lille.

Quand il débuta ses travaux, on savait que la houille était d'origine végétale mais on n'avait, quant à son origine, que des idées fragmentaires et imprécises. Ce fut l'immense mérite de A. Duparque de forger et d'imposer de nouvelles méthodes d'étude.

Dans son chef d'oeuvre de 1934 "Structure microscopique des charbons du bassin houiller du Nord et du Pas-de-Calais", André Duparque distingue deux types de charbons fossiles :
- les uns sont formés de débris de bois et de sclérenchyme : houilles ligno-cellulosiques ;
- les autres sont faits des cuticules des feuilles et de spores: houilles de cutine.

Ces débris sont sédimentés dans une gelée (le vitrain) venant de la liquéfaction des substances végétales fermentescibles.

André Duparque fut élu membre de l'Académie des Sciences dès 1957. Professeur original, souvent distrait, A. Duparque était adoré de ses élèves.

Une partie de ses travaux fut poursuivie par Alexis Bouroz récemment disparu. Il fut Directeur du Service Géologique des HBNPC, spécialiste des charbons et de la tectonique varisque. Tous ceux qui l'ont connu se souviennent de ce gentleman d'une grande distinction naturelle, au discours clair, précis et documenté.

L'ETUDE DES FORETS HOUILLERES ET LE DEVELOPPEMENT DE LA PALÉOBOTANIQUE

Cette branche maîtresse de la paléontologie a toujours eu une très grande importance dans nos institutions, si proches géographiquement des forêts houillères.

Les flores houillères fournirent à nos prédécesseurs un matériel incomparable; les qualités de ces savants les firent, par ailleurs, s'intéresser à tous les aspects des flores fossiles dans le Monde.

Quatre noms principaux (parmi de nombreux chercheurs très honorables mais nous ne pouvons les citer tous) viennent à l'esprit. Il s'agit de Paul Bertrand, du Chanoine Alfred Carpentier, de Paul Corsin et du Chanoine Georges Depape.

  • Paul Bertrand ( 1879-1944)
    Né à Loos, fils du célèbre Charles Eugène Bertrand, il se vit attribuer la chaire de Paléobotanique créée pour lui, à Lille, en 1927. Il fut nommé en 1938 au Muséum National d'Histoire Naturelle.
  • Alfred Carpentier ( 1878-1952)
    Originaire de l'Avesnois, il fit ses études à Lille et Nancy. Après son ordination, il revint à la Géologie et soutint une très brillante thèse en 1913. Il devint rapidement un spécialiste des flores carbonifères et des flores wealdiennes et rédigea de nombreux ouvrages synthétiques.
  • Pierre Marie dit Paul Corsin ( 1904-1983)
    Né en Saône-et-Loire, il fit toute sa carrière universitaire à Lille. Paul Corsin consacra l'essentiel de son activité aux plantes du Paléozoïque supérieur
    Il eut une belle activité de résistant pendant la guerre, le menant à l'attribution, rare, du "Diplôme de gratitude du gouvernement des Etats Unis d'Amérique". Il fut élu membre correspondant de l'Académie des Sciences en 1958 à 54 ans.
  • Abbé Georges Depape ( 1884-1960 )
    Pendant pratiquement toute sa carrière, il se consacra à ses recherches paléobotaniques sur les flores tertiaires de France, de Chine, sur les flores wealdiennes d'Espagne et les flores récentes d'Afrique du Nord.

PALÉONTOLOGIE ANIMALE

La plupart des géologues de nos régions utilisèrent les données de la paléontologie animale et, en particulier, de celle des Invertébrés (les beaux gisements de Vertébrés étant assez rares chez nous, si l'on veut bien excepter Bernissart et ses Iguanodons actuellement exposés au Musée de Bruxelles).

Plusieurs de nos prédécesseurs, toutefois, consacrèrent l'essentiel de leur recherche à la paléontologie des Invertébrés.

Nous citerons Monseigneur Gaston Delepine, Mlle Dorothée Le Maître et le Chanoine Dubar. On y ajoutera, pour mémoire, le nom de Gérard Waterlot (dont nous reparlerons plus tard) qui fut un connaisseur avisé des Arachnides et, plus utile en biostratigraphie, un spécialiste mondial et incontesté des Graptolites.

  • Monseigneur Delepine ( 1878-1963
    Ordonné prêtre en 1902, il soutint en 1911 une thèse sur le calcaire carbonifère de Belgique (sous la direction de l'abbé Bourgeat), travail utilisant largement l'outil paléontologique des Brachiopodes et Polypiers. C'est toutefois dans l'étude des Goniatites, Céphalopodes constituant d'excellents fossiles stratigraphiques, que Monseigneur Delepine put donner la pleine mesure de ses qualités de scientifique
    Les distinctions ne lui manquèrent pas et, en particulier, l'appartenance d'une part à l'Académie des Sciences (où il côtoyait son vieil ami Pierre Pruvost) et, d'autre part, à l'ordre de la Légion d'Honneur
    Il eut une fin très digne en 1963 laissant le souvenir d'une grande rigueur scientifique et morale et d'une très grande bonté malgré un abord assez intimidant tempéré par un sourire amicalement malicieux.
  • Mademoiselle Dorothée Le Maître ( 1896- 1990
    Grande dame de la Paléontologie, connue dans le monde entier, Mlle Le Maître était Directeur Scientifique au CNRS et Professeur à la Faculté libre des Sciences
    Après sa thèse, soutenue en 1934, sur la faune des calcaires dévoniens d'Ancenis, elle partagea son activité scientifique entre l'étude paléontologique et stratigraphique du Dévonien français, celle de l'Afrique du Nord et son enseignement magistral à la Catho
    Elle fut membre et Présidente très active de la SGN. C'était un plaisir toujours renouvelé que de la consulter, rue de Toul, et de la voir tirer des quantités de renseignements de petits bouts de polypiers fossiles que l'on croyait bons pour la corbeille à papier .
  • Le Chanoine Gonzague Dubar ( 1896- 1977
    Il naquit à Mouvaux en 1896 dans une famille largement ouverte aux Sciences
    Grand connaisseur de la Géologie des Pyrénées et, en particulier, de leur Lias, Gonzague Dubar consacra, néanmoins, l'essentiel de son activité à une belle oeuvre paléontologique qui fit de lui un spécialiste incontesté des faunes du Lias.

Branche éminemment appliquée de la géologie, l'hydrogéologie, la géologie de l'eau, a toujours eu une place d'honneur dans nos laboratoires et dans les publications de la SGN.

Jules Gosselet fut l'un des fondateurs de cette discipline et ses beaux travaux sur les eaux de nos régions sont encore utilisables et souvent consultées.

Le second grand nom à citer est celui de Louis Dollé ( 1878-1965) dont les travaux, dans le droit fil de ceux de son prédécesseur font, eux aussi, encore autorité p leur précision et leur modernisme.

Toutefois celui qui, à mon avis, a le plus marqué son époque par sa façon d'envisager la connaissance et la gestion des nappes d'eau fut Gérard Waterlot (1904-1982), mon illustre homonyme.

II fut l'un des premiers en Europe à considérer la nappe d'eau dans son ensemble, depuis sa genèse jusqu'à son terme ultime, son exploitation. II fut également un précurseur de l'étude du chimisme des nappes.

II fut un pionnier de l'utilisation des nappes alluviales, en particulier dans les terrains paléozoïques ardennais, peu favorisés en nappes exploitables. II lui fallut -beaucoup de persuasion pour convaincre les utilisateurs potentiels de la qualité de ces eaux et démontrer qu'utiliser les nappes alluviales des vallées ardennaises n'était pas boire l'eau de la Meuse ou de la Semois.

Outre ses connaissances scientifiques précises et étendues, il avait un sens infaillible de l'eau, aimait se comparer à un sourcier. Je me souviens avoir été "épaté", à nombreuses reprises, en l'accompagnant sur le terrain, en Ardenne, par son diagnostic sûr et précis, par une sorte de préscience qu'il avait de l'eau.

Gérard Waterlot naquit à Pont-à-Vendin (Pas-de-Calais) en octobre 1904. II entra à l'Ecole Normale de Douai, envisageant une carrière d'instituteur. Ses professeurs, remarquant ses dons, le poussèrent à continuer ses études, ce qu'il fit en Sciences Naturelles à la Faculté des Sciences de Lille. Il y fit toutes ses études supérieures et toute sa carrière et mourut à Marcq-en-Baroeul en 1982.

Outre ces brillants travaux d'hydrogéologie que je viens d'évoquer, Gérard Waterlot réalisa une grande oeuvre de paléontologiste animal, travaillant en particulier sur les Graptolites, dont il fut l'un des spécialistes mondiaux. De plus, et je dirai surtout, il fut l'un des grands stratigraphes français, travaillant inlassablement les terrains paléozoïques du Massif Armoricain et, plus encore de l'Ardenne, qu'il aimait tant. Il put, en particulier, débrouiller la géologie complexe du Massif cambrien de Rocroi, à une époque où l'étude de la schistosité et la microtectonique n'étaient qu'en gestation.

C'était un enseignant remarquable tant en Paléogéographie et Stratigraphie qu'en Minéralogie. Ses étudiants étaient suspendus à ses lèvres pendant des heures quel que fut le sujet traité, même d'une grande austérité. Les excursions qu'il dirigeait étaient toujours un véritable régal de précision et de pédagogie. Les honneurs, qu'il ne recherchait pas, lui échurent tout naturellement et, parmi les plus marquants, je rappellerai qu'il était commandeur dans l'ordre des Palmes académiques, qu'il fut Président de la Société Géologique de France en 1959 et Président d'honneur de notre Société, la SGN .


L'apport lillois en Géologie appliquée.

Outre l'hydrogéologie et l'étude appliquée des sédiments houillers déjà cités, nos prédécesseurs oeuvrèrent, souvent en pionniers, dans le domaine de la géologie appliquée. C'est cependant après la seconde guerre mondiale et la réorganisation qui suivit, que la géologie appliquée se développa, d'une part sous l'influence de Antoine BONTE (1908-1995) et d'autre part, grâce au BRGM qui s'installa à Douai d'abord et à Lille-Lezennes ensuite.

Antoine Bonte (1908-1995)

Ingénieur IDN de formation mais alliant à la rigueur qui en découlait la souplesse d'esprit du naturaliste, A. Bonte fut capable de rédiger un remarquable traité sur la -"Lecture des cartes géologiques", de nous proposer un travail philosophique de haut niveau "A qui la Terre", qui devrait (et qui est peut-être) la bible des écologistes tout en menant, avec une grande rigueur, l'étude des fondations du port de Boulogne ou celle d'importantes adductions d'eau.

Passionné par son métier d'enseignant, il nous emmenait souvent, nous, jeunes étudiants, cartographier le Boulonnais dont il avait la responsabilité au Service de la carte géologique de France, formant ainsi de nombreux géologues qui se souviendront toujours de ses leçons et de ses conseils donnés discrètement mais efficacement.

Il fut l'un des principaux créateurs de l ' Ecole Universitaire d'Ingénieurs de Lille, actuellement la plus importante école de ce type de notre région.

Comme le rappelle H. MAILLOT dans son hommage publié par l'Association Internationale des Hydrogéologues "sa modestie faisait trop souvent oublier son aura dans les domaines de la géologie appliquée et de l'hydrogéologie appliquée... ses études sur les gisements de sel en relation avec les nappes, sur l'hydrogéologie du département de la Somme, sur les relations entre nappes de la région Nord -Pas-de-Calais et les caractéristiques géotechniques des sols le conduisaient toujours à privilégier l'analyse méticuleuse des faits scientifiques aux interprétations souvent grandiloquentes voire aux modèles rapidement dépassés ou inopérants " .


Il serait impossible de terminer cet exposé sans rappeler l'apport fondamental -notre discipline de l'école belge du LABORATOIRE DE GÉOLOGIE DE LA FACULTÉ POLYTECHNIQUE DE MONS.

Nous avons déjà vu la grande importance de Jules Cornet et de son père. Nous dirons maintenant quelques mots, pour ne citer que les disparus, de Alphonse BEUGNIES et René MARLIÈRE.

Alphonse Beugnies ( 1922-1988)

Il naquit près de Mons et obtint en 1947 le diplôme d'Ingénieur-géologue après avoir eu, pendant la guerre, une attitude exemplaire de jeune résistant.

Comme dans celle de Jules Cornet il y a, dans l'oeuvre scientifique d'Alphonse Beugnies un volet africain qui l'amena au poste important de chef du service des mines du Katanga et un volet ardennais qui fit de lui l'un des meilleurs connaisseurs de cette région clef.

Le Conseil Académique de la Faculté Polytechnique de Mons lui demanda, en 1953, de revenir en métropole afin d'y succéder à A. Jamotte.

Dès lors, sa riche carrière se déroula en Belgique, lui attirant honneurs et responsabilités.

Aimant particulièrement les terrains cambriens, il se passionne pour la géologie des Massifs de Rocroi et Givonne ; fin connaisseur de la biostratigraphie du Paléozoïque, il étudie avec précision le Frasnien et le Famennien d'Entre Sambre et Meuse.

Bien qu'admirant beaucoup ses qualités scientifiques et l'excellence de son travail de terrain et de laboratoire, je fus surtout frappé pendant les vingt cinq ans où je l'ai connu, par ses immenses qualités humaines. Je dois dire, tout simplement, que parmi les illustres disparus que j'évoque ici, c'est lui qui m'a le plus impressionné. Toujours souriant, blagueur , prêt à rendre service, il était le copain, le grand frère que chacun souhaite avoir, et que nous avions grâce à lui.

Son décès inattendu et brutal, en 1988, choqua fortement notre communauté et la tristesse de ses obsèques, un matin glacial et brumeux de janvier, restera l'un des souvenirs les plus tristes de ma vie.

René Marlière ( 1905-1993)

Français de naissance, il fit dans notre pays ses études universitaires avant d'être nommé à la Faculté Polytechnique de Mons. Grand ami et contemporain de Gérard Waterlot, il travailla, comme lui, dans les Ardennes.

C'est toutefois son oeuvre dans les terrains secondaires et tertiaires du Bassin de Mons qui lui valut une autorité méritée. A l'évidence, il était passionné par la géologie de ce bassin, petit par la surface mais grand par les problèmes qu'il pose et que R. Marlière résolvait avec élégance.

Sans en être l'initiateur, R. Marlière fut l'un des principaux artisans d-�excellentes relations et de la féconde collaboration entre Mons et Lille, qui existe encore de nos jours.

CONCLUSIONS

Le survol rapide que nous venons de faire de 130 ans de sa vie montre bien que notre communauté scientifique fut souvent à l'origine de la découverte et de l'étude grands concepts de notre discipline. Les géologues de nos universités et de nos -institutions , même fondamentalistes, n'ont pas négligé de se pencher sur les aspects appliqués des Sciences de la Terre.

Depuis 1870, les Annales de la Société Géologique du Nord apportent à la communauté scientifique, au jour le jour, nos découvertes, grandes ou petites, tandis que les Mémoires et Publications de la SGN synthétisent des apports magistraux, fruits de longs et patients travaux.

Notre Société et les Institutions qui l'alimentent ont, bien sûr, depuis 1870 connu de nombreuses vicissitudes, liées en particulier aux périodes de guerre. Elles ont jusqu'à présent toujours maîtrisé ces crises.

Le succès rencontré récemment par les journées régionales du patrimoine géologique, initiées par Madame Denise Brice, notre actuelle Présidente, augure bien de l'avenir de nos différentes structures.

Novembre 1997