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Hommage à Alain Moïses
C’est à partir du souvenir aigu que je garde d’Alain Moïses – même si je ne suis certainement pas le plus qualifié ici pour parler de lui – et des témoignages qu’Henri Dubois a collecté auprès de collègues qui ont souhaité, très vite, à l’annonce de son décès, apporter leur contribution, que cet hommage s’est construit.
Jalons chronologiques
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Alain Moïses naît à Roubaix en 1936.
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Fait prisonnier, son père reste enfermé toute la guerre dans un camp militaire et rentre en France en 1945.
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Devant les risques qui pèsent sur les Juifs en France il est pensionnaire en Belgique et revient en France en 1945 où il suit une scolarité en compagnie d’Alain Dubrulle.
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Après un bac technique il entre à l’université en 1958.
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Après un an d’assistanat en médecine en 1962 il devient assistant à la faculté des Sciences en 1963 et maître-assistant en 1967 au laboratoire de Spectroscopie hertzienne.
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À partir de 1968 il occupe de multiples responsabilités à l’UER de physique dont il est directeur de 1985 à 1987.
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En 1987 il est appelé par Alain Dubrulle à devenir vice- président chargé du patrimoine, fonction qu’il assumera aussi sous le mandat de Pierre Louis jusqu’en 1997.
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Après sa retraite il se retire avec son épouse Danièle à Pérols dans l’Hérault où il décéde le 11 octobre 2017.
La rapidité de réaction des uns et des autres montre combien l’action d’Alain Moïses est reconnue et combien il a marqué de son empreinte l’université par le caractère précurseur de ses actions. Cette idée qu’il était un précurseur revient souvent.
C’est une dimension que l’on retrouve dans le choix de sa thématique de recherche, une thématique complètement nouvelle, risquée, sur la modélisation des cristaux anisotropes, qui allait déboucher beaucoup plus tard sur des applications que l’on retrouve dans notre vie quotidienne. Autour de lui se constitue alors une équipe de jeunes assistants comme l’expliquent Gilles Joly, Noël Isaert et Marcel More qui s’impliquent dans cette aventure qui va donner lieu, plus tard, à la création du laboratoire Dynamique des structures moléculaires des matériaux
Alain Moïses le chercheur (texte de Gilles Joly et Noël Isaert)
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Après une thèse de troisième cycle au LSH (professeur Wertheimer), Alain Moïses rejoint le professeur J. Billard et son laboratoire naissant. Le laboratoire s’étoffe rapidement de plusieurs assistants travaillant sur les « cristaux-liquides » et les cristaux.
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On ignorait alors que le secteur était prometteur : c’était l’époque des premiers afficheurs à cristaux-liquides de qualité très modeste (montres, calculettes…) ; on sait ce que ce domaine a donné en applications trois et quatre décennies plus tard : premiers téléviseurs plats atteignant 50 cm vers 2004 ; ils sont bien plus grands maintenant.
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Alain Moïses a contribué à la création de ce laboratoire en animant l’équipe de jeunes assistants recrutés : participation au progrès de leurs recherches en partageant sans compter son savoir-faire expérimental ; soutien dans leurs activités d’enseignement par ses compétences pédagogiques et ses implications au sein de l’UFR.
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Avec ténacité et bonne humeur il a entrepris de réaliser des structures macroscopiques semblables aux cristaux-liquides, mais à une échelle plus de 1 000 fois supérieure : 1 000 fois plus grandes, et susceptibles d’avoir des propriétés analogues à des longueurs d’onde 1 000 fois supérieures, ce domaine de longueurs d’onde auquel il était familier par sa thèse.
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La tâche était difficile, ceci sûrement parce que très en avance sur ce qui pouvait être fait à l’époque. On a dû admettre qu’il fallait patienter. C’est aussi ce que l’avenir a montré, car c’est seulement plusieurs années plus tard que les structures artificielles d’intérêt photonique ont connu un réel essor ; c’est-à-dire plusieurs années après le risque qu’il a pris dans ce projet précurseur.
C’est aussi ce qui apparaît fortement dans son action de vice-président sous les mandats d’Alain Dubrulle et de Pierre Louis (il était alors premier vice-président)
Chargé des constructions universitaires Alain avait à faire face à un triple défi : celui d’assurer une maintenance qui, faute de moyens, n’avait pas été auparavant à la hauteur des enjeux conduisant à une dégradation forte du patrimoine immobilier ; faire face à l’accroissement du nombre des étudiants et faire face au développement des activités de recherche avec la création de nouveaux laboratoires, ce qui nécessitait des constructions nouvelles.
Tout cela dans un contexte où les maigres crédits étaient affectés à des opérations bien identifiées et non pas, comme l’aurait souhaité Alain, à un projet d’ensemble. Il a su saisir toutes les opportunités ou les susciter pour mener à bien un grand nombre de projets que je ne vais pas énumérer tant ils sont nombreux : une queue de crédit traînait au ministère et c’était le bâtiment de la maison universitaire de la santé qui sortait de terre ou le club house et un ensemble de cafétérias dans les bâtiments d’enseignement ou le bâtiment culture un jour où Jack Lang passait par ici. Il savait voir les opportunités comme celle de la relocalisation de l’IAE à l’hospice général de Lille qui lui doit beaucoup. Il savait intervenir auprès du ministère de façon inlassable sur la base de dossiers bien étayés et en utilisant tous les arguments possibles. Par exemple en brandissant un morceau de canalisation au trois quart calcifié pour obtenir le complément de subvention nécessaire.
Pierre Louis dans sa contribution nous dit qu’il a été un bâtisseur et dresse une liste, d’ailleurs non exhaustive des opérations qu’il a initiées durant son mandat tant en constructions neuves qu’en termes de rénovation, de remise aux normes en matière de sécurité et c’est impressionnant. Mais au-delà des constructions ce qui était novateur c’était la conception d’ensemble qui sous tendait ses actions, une conception en avance sur son temps, reprise largement aujourd’hui dans la problématique de l’autonomie des universités. Ce point est largement développé dans la contribution d’Yves Chaimbault dont je reprends quelques éléments.
Extraits de la contribution d'Yves Chaimbault
Trois points me paraissent caractériser son action de vice-président :
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Une vision intégratrice des fonctions logistiques (intégrant le logement, la restauration, les services à l’étudiant dans un ensemble, à l’instar du modèle anglais).
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Une conception urbaniste du Domaine, cogérant le public et ses différentes formes administratives, et le privé (les entreprises de service comme les laveries, les crèches, etc.).
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Une ambition « citoyenne » d’intégration de l’université dans la ville.
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Pour cela, il avait créé un outil : la LOGISTIQUE, dans un espace : le DUSVA.
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Pour cela, il avait porté de grands projets d’intégration, comme la COGÉNÉRATION.
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Pour cela, il avait une conception « MODERNE » de l’action publique, au moins dans sa partie administrative et technique, qu’il voulait voir travailler dans l’esprit du privé.
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Quelque part, il a été un PRÉCURSEUR.
S’inspirant de ce qui se fait dans collectivités territoriales (n’oublions pas qu’il avait été adjoint au maire de Bourghelles) il souhaitait mettre en place un plan de développement du campus, un plan local d’urbanisme en quelque sorte. C’est dans ce sens qu’il avait ouvert un chantier pour élaborer un plan cohérent d’urbanisation du campus, en identifiant les espaces, les circulations, etc. Ce grand plan, je m’en souviens, est resté longtemps dans la salle de réunion de l’équipe de direction. Je ne sais ce qu’il est devenu aujourd’hui mais ce que je sais c’est que certains des principes qui le structuraient sont demeurés. Il avait enfin une ambition « citoyenne » d’intégration, d’ouverture de l’université dans la ville. On comprend tout le rôle qu’il a pu ainsi jouer dans le cadre du plan université 2000 où il a été un ardent défenseur du développement de l’université.
Pour appliquer ces idées il a créé un outil : la logistique, un ensemble intégré de compétences en ayant recours à des recrutements extérieurs en particulier du secteur privé. Il a œuvré pour que l’université ait la maîtrise de ses constructions en prenant le plus souvent possible la maîtrise d’ouvrage. C’était un changement culturel profond pour l’université.
Le second aspect que je voudrais développer est son sens de l’écoute, son souci de faire participer les différents acteurs et cela dans tous les aspects de sa vie professionnelle.
Responsable des constructions il était dans une position quasi intenable en devant répondre à des demandes toutes urgentes, toutes prioritaires, à des demandes résultant de besoins certes réels mais évacuant les questions budgétaires que cela pouvait poser. Il fallait donc arbitrer entre des projets collectifs, entre des projets individuels. Il ne le faisait qu’après avoir pris les avis des uns et des autres. On comprend que dans ces conditions tout le monde ne pouvait être satisfait. Et cela d’autant que je l’ai dit les besoins étaient immenses et les crédits irréguliers. Je me souviens qu’Alain pestait parfois face à des demandes que je qualifierai de confort alors qu’il y avait d’autres urgences. Ce dont je suis sûr c’est que les choix qu’il proposait reposaient sur une analyse impartiale avec un souci de justice, avec un souci d’efficacité du service public auquel il tenait tant et après discussion. Je vais à ce propos citer Joseph Losfeld quand il écrit « je retiens un accueil chaleureux, une écoute attentive, compétente et bienveillante et une volonté de faire aboutir les dossiers et de lever les difficultés ». C’était cela Alain Moïses.
Cette écoute, ce souci des autres on le retrouve dans les autres facettes de son activité d’enseignant chercheur. Et je peux citer ici Marcel More « J’ai commencé ma carrière sous sa bienveillante autorité comme assistant de TP (le samedi après midi) en 1964. On retrouve cette qualité dans son activité d’enseignement comme en témoigne Jean-Marie Blondeau parlant de ses interventions dans la préparation au CAPES ».
Extraits du témoignage de Jean-Marie Blondeau
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Il était particulièrement apprécié des étudiants dans les séances de manipulation de physique par ses connaissances expérimentales dans les différents domaines de la physique. Ses nombreux conseils ou astuces permettaient aux étudiants de se préparer efficacement à l’épreuve orale de montage du CAPES.
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Alain était très proche de ses étudiants et ne comptait pas son temps pour mener à bout avec beaucoup de patience les différentes manipulations faisant l’objet du concours.
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Il intervenait également dans les leçons d’agrégation où les manipulations qu’il mettait au point avec ses étudiants étaient souvent originales et convaincantes dans l’illustration des leçons proposées au concours.
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Alain travaillait déjà en équipe pédagogique au sein de ces préparations et ses remarques ou orientations se révélaient toujours pertinentes. Il faisait régner au sein de cette équipe une bonne ambiance qui contribuait à la réussite des étudiants aux concours, étudiants souvent placés dans les premières dizaines en admission par rapport au niveau national.
Dans toute son activité universitaire ce qui a guidé Alain c’est son sens du service public.
À l’université comme au dehors Alain a toujours été un homme fortement impliqué partout où il passait. Il ne recherchait pas les honneurs mais était toujours volontaire pour des tâches collectives. Sa vie est une succession de responsabilités dans le champ politique, dans le champ syndical, social, ou religieux. Militant socialiste engagé, fier de son engagement il était disponible, ouvert aux autres. Mais il ne mélangeait jamais les genres. Homme discret, parlant peu de lui ou de sa famille mais très attaché à Danièle et à ses enfants, passionné et curieux, ayant un sens aigu du service public il faisait passer au premier rang l’intérêt général. Alain nous quitte aujourd’hui et nous mesurons, tardivement certainement, tout ce que nous lui devons. Merci Alain.
Jacques DUVEAU, président de l'ASA, président honoraire de l'université Lille1
Article paru dans le bulletin de l'ASA de l'hiver 2017